mercredi 12 janvier 2011

Religion ...

Pendant plus d'un an, j'ai été un des contributeurs du site aujourd'hui disparu «Afrique-du-Nord.com».
Dernièrement, les créateurs du site ont décidé de le fermer, pour des raisons qui leur sont personnelles.

Je met en ligne un des articles que j'ai eu la chance de voir publié sur «Afrique-du-Nord.com» et auquel j'ai apporté quelques modifications et précisions:


Religion d’ignorants et religion de sachants. (9 décembre 2009)


L’islam de mon grand-père n’avait rien de glorieux : il ne cherchait à s’imposer à personne. C’était l’islam de l’ignorance, celui des connaissances plus que limitées. En dehors du marabout du village, qui a dû l’étudier dans quelque madarsa (peut-être celle de Michelet, ou encore de Djemâa- Saharidj, cité fondée par Rome?), personne ne pouvait en réciter la moindre sourate, à part celles, bien entendu, utilisées dans la prière. C’était l’islam de l’à-peu-près, l’islam de l’habitude, presque de l’indifférence, tant la pratique était d’abord sujette aux vicissitudes quotidiennes : le travail passe avant, s’il reste du temps, on se plie à ses obligations, sinon, Dieu est pardonneur. Quelques mythes étaient accrochés à cette croyance, distillés ça et là par le marabout. Il est arrivé, une nuit suivant un enterrement, qu’on entendre des cris étranges venant semble-t-il de la tombe fraichement recouverte de terre : c’était l’effroi dans tout le village, car Azrayen (Azraël l'Ange de la Mort, selon les croyances judéo-chrétiennes) était certainement en train d’accomplir son oeuvre. On ne cherchait pas d’autre signification, on ne pouvait évidemment pas se douter que le pauvre malheureux était tombé dans le coma et qu’il se serait réveillé, poussant ainsi des cris de désespéré. Les autres mythes concernaient bien sûr le Prophète, toujours enjolivées comme cette légende qui veut qu’au contact du sol, sa morve aurait donné naissance aux narcisses (takhlult n-nnvi, pluriel: tikhlulin n-nnvi.  Littéralement: la morve - les morves - du Prophète).


La religion des naïfs.


La pratique était loin d’être assidue, à l’opposé de ce que l’on peut voir aujourd’hui ; la plupart du temps, la mosquée était quasiment vide : au moment de la prière, seuls 4 ou 5 parmi les plus vieux faisaient entendre leurs psalmodies. Le marabout était tellement désœuvré qu’il s’était acheté une vieille guimbarde et s’était mis à faire le taxi, par désœuvrement. Marabout converti en ... taxi clandestin, une bonne manière d'arrondir ses fins de mois, lui, le salarié de la fonction publique! Car en terre d'islam, les cheikhs, marabouts et autres gourous sont des fonctionnaires de l'Etat! Le seul jour où le marabout pouvait être satisfait, c’était le vendredi. Au retour du marché (ssuq n-L'djemâa, marché du Vendredi), on faisait un déjeuner copieux, généralement à base de grillades. Partout dans le village montait une bonne odeur d’huile frite dans laquelle on jetait des tranches de cœur, de foie ou de steak. Morceaux de roi, pour nous. Ensuite les hommes se rendaient à la mosquée ; plus par habitude et pour se retrouver que pour écouter le marabout et ses histoires. D’ailleurs, ses histoires, on ne les écoutait que d’une oreille, c’était souvent les mêmes : Cid Ali, gendre du Prophète, terrassant une fois des dragons ou je ne sais quels autres animaux fabuleux, d’autres fois des armées entières, qu’il envoyait ad patres à l’aide de son fameux Ccif (cimeterre) trancheur de têtes. Ou encore des histoires mettant en scène l'Ange Djibril (Gabriel) au 600 ailes. Ou bien, les légendes de Suleyman (Salomon) dont l'armée était composée de surhommes, d'animaux doués de parole et de djinns (créatures surnaturelles créées « de la flamme d'un feu sans fumée » et qui ont un pouvoir de contrôle psychique sur les humains).


Religion de naïfs, vous disais-je !


Ma grand-mère, qui était une femme sensée, disait souvent : « je n’ai pas de temps à perdre à aller me martyriser les genoux: quand on meurt, on vous met dans le trou et tout est fini ! ». A elle aussi, son bon-sens faisait passer le travail avant tout. Comme toutes les femmes du village, elle avait toujours son amendil (foulard) coloré sur la tête. On ne voyait jamais aucune femme avec autre chose que amendil sur la tête et même dans les villes comme Tizi Ouzou, on ne voyait jamais ni hijab ni haïkh. Uniquement amendil, beaucoup plus proche d'ailleurs du foulard européen que de tous ces couvre-têtes qu'on voit de nos jours arborés ostensiblement.
J’avais également un grand-oncle paternel, qui « avait fait 14/18 et c’est pas ce qui lui est arrivé de mieux », comme il aimait à dire, ce qui ne l'empêchait pas d'exhiber fièrement ses multiples médailles de blessé de guerre. Il était loin d’être un assidu des prêches maraboutiques. Il a été vacciné une fois pour toute de la religion le jour où il dut rentrer chez lui pieds nus : les chaussures qu’il venait d’acheter le matin-même au ssuq du Vendredi ont dû plaire à un dévot, il lui a laissé ses vieux « arkassen » (sorte de sabots fait de cuir épais et durci, qu'on mettait généralement pour aller aux champs) craquelés et boueux. Il n’a jamais retrouvé ses chaussures neuves mais ne s’est pas gêné de crier dans tout le village tout le bien qu’il pensait des adeptes du maraboutisme et des « suppôts du diable qui volent les honnêtes gens et espèrent le paradis ». Il a juré et tenu parole, on ne l’a plus jamais revu à l’intérieur d’une mosquée, même pour les cérémonies ou fêtes les plus solennelles. J’ai le souvenir des invectives qu’il adressait à sa femme, une pauvresse dévote ayant tellement peur de la mort qu’elle faisait 3 mois de ramadan par an, au grand dam de son mari.
Bien sûr, presque tout le monde dans le village faisait le ramadan. Mais ceux qui ne le faisaient pas n’avaient nullement besoin de s’en cacher, c’était au su de tous et ils n’étaient nullement inquiétés, n’étaient sujet à aucune moquerie ou mise à l’écart quelconque. Bien entendu, par pudeur et par respect, il ne mangeaient ni ne buvaient au vu de tous. Les longues nuits de ramadan se passaient au café maure (d’où le vin n’était pas absent, même en cette période) à jouer à « rounda » (jeu de carte espagnol très prisé en Kabylie) et aux dominos, jeux pourtant on ne peut plus haram (illicites).
Des amateurs de la dive bouteille, il y en avait aussi quelques-uns, au village. Quelques fois, on les voyait revenir des champs en titubant, on savait que leurs calebasses ou leurs bouteilles Thermos ne contenaient pas du thé et personne ne trouvait à redire. Chacun faisait ce qu’il avait envie de faire, dans la mesure où il n’incommodait pas les autres, tout le monde était ainsi satisfait et le village vivait en bonne harmonie.
Les fêtes avaient des allures païennes : normal, on ne ressentait nul besoin d’en connaître le vrai esprit religieux, ce sens s’était perdu dans le temps. Bien sûr, on chantait « l-mulud n-nnvi » (qui commémore la naissance du Prophète) et on en connaissait la signification. Mais pour nous, c’était avant tout une occasion de rompre avec notre dure réalité quotidienne de paysans. Pas plus de signification à en tirer que la fête en l’honneur du dieu païen Anzar de nos ancêtres, ce qui n’était pas plus mal. Pour ce peuple on ne peut plus tolérant, si le paradis existe, ils ne se mérite pas à ce genre de démonstration ou de manifestation, mais à son comportement quotidien vis à vis des ses semblables.


L’islam d’aujourd’hui.


Contrairement à celui de mon grand-père, c’est l’islam étudié, assimilé, connu par coeur. C’est l’islam des sachants. Le pays s’asiatise petit à petit. La dérive des continents n’y est pourtant pour rien, l’Afrique du Nord est toujours arrimée à son continent. Il s’agit ici d’une chose bien plus grave, il s’agit de dérive des mentalités et de dérive culturelle : la culture ancestrale est délaissée, au profit d’une culture d’importation, une culture débarquée tout droit de la lointaine Asie.
L’islam d’importation, venu de Kaboul, de la vallée de Swat, de Kandahar, de Riyad ou de Sana’a, ou de tous ces endroits à la fois. Islam des sachants revisité en version kabyle, kaboulienne, devrait-on dire. C’est l’islam qui n’en finit pas de construire ses mosquées au détriment de tout le reste, c’est la religion de la pratique assidue, de celui qui se pose la question de savoir s’il peut interrompre sa prière pour porter secours à son voisin. L’islam à qui les mosquées ne suffisent plus : on prie sur les trottoirs, on prêche dans la rue, au marché, à l’atelier, à l’usine, au bureau. La religion qui veut englober tout humain, le phagocyter.
Aujourd’hui, la mosquée du village s’est équipée d’un haut-parleur, afin que personne ne puisse dire qu’il n’a rien entendu. Elle est pleine à craquer pour chacune des 5 prières, elle déborde dans la ruelle étroite qui traverse le village de part en part, bloquant toute circulation. Vieux, jeunes, adolescents, c’est à celui qui montrera le plus de zèle. Aujourd’hui, à l’heure des prières, la vie du village s’arrête, paralysée. Les hommes qui résistent encore, peu nombreux, restent cloitrés chez eux par la force des choses, les femmes ne peuvent plus aller chercher l’eau à la fontaine : traverser le village est tout bonnement impossible. Au rythme où vont les choses, ils seront bientôt étrangers et parias chez   eux ! Des dhimmis! Pour ceux qui ignorent ce qu'est un dhimmi: tout croyant non-musulman ayant conclu un traité de reddition (dhimma) qui détermine ses droits et devoirs, à qui on impose notamment le paiement d'un impôt en contrepartie de la liberté de pratiquer son culte, mais liberté assortie de contraintes.
Petit à petit, le hijab remplace notre amendil, le khamis remplace le pantalon et la barbichette remplace la moustache. Moustache traditionnelle qui symbolisait le nife (l'honneur) des Kabyles, autrefois. Il ne manque à la panoplie que la couleur rouge du henné pour finir de rendre diaboliques toutes ces barbiches. Petit à petit, la vie ordinaire se mute en vie consacrée au culte et à lui seul. On vit la religion, on la respire, elle transpire à travers chaque pore de chaque individu. On vit dans l’espérance de son triomphe, qui devra s’annoncer par la fermeture des bars, cinémas, théâtres et centres culturels. Et des écoles de filles.


La religion d’aujourd’hui, c’est celle qui envoie une femme en prison au seul prétexte qu’on a trouvé sur elle un feuillet contenant des parole bibliques. Car, de plus, il est devenu tout à fait normal de fouiller dans les affaires personnelles d’un citoyen ou d’une citoyenne, sans qu’il y ait délit, sans qu’il y ait abus de pouvoir. C’est la religion qui veut qu’un homme et une femme, vus ensemble, ont intérêt à présenter leur livret de famille qui atteste bien qu’ils sont mari et femme, frère et soeur, ou père et fille. C’est la religion qui unit les époux civilement, donc à la mairie, uniquement si la mariée présente un certificat de bonne conduite, c’est-à-dire de virginité. Car c’est bien là le rôle du maire, n’est-ce pas, de veiller à l’honneur des familles ! C’est la religion qui jette au trou un pauvre soldat pris en flagrant délit de rupture de ramadan. Exténué peut-être par sa dure journée de troufion sous un soleil de plomb. C’est la religion qui nous envoie ses linguistes pour nous traduire dans notre langue leur idéologie de peur et de mort: le Coran en langue kabyle est une de leurs priorités « sociales ». Idéologie de mort qui sert de tremplin à une vie éternelle hypothétique de délices et de félicités tout aussi hypothétiques. C’est la religion des Kabyles qui ont vendu leur âme et renié leurs coutumes et qui, quand ils nous parlent de traditions, nous renvoient à celles du Hedjaz d'Arabie, au VII ème siècle. Leurs traditions, pour toujours, disent-il.
C’est la religion de la chasse aux sorcières, la religion qui ne tolère sur son sol aucune autre, surtout pas la chrétienne, qu’elle projette d’anéantir. Ou au mieux, dans sa grande mansuétude, d’en faire ses dhimmis, que cette religion d’amour d’autrui, de partage et de compassion considère comme des êtres inférieurs. Des dhimmis Kabyles en pays kabyle ! C’est la religion de ceux qui, depuis leurs casemates et leur maquis, nous prédisent un avenir pachtoune, tout en égorgeant à qui mieux mieux. C’est la religion des sachants. Car s’il est une matière pour laquelle ils sont les meilleurs sachants, c’est bien leur idéologie. Jamais personne ne pourra leur reprocher la méconnaissance de leur dogme.


Est-ce cela, la religion de tolérance et de paix que veulent adopter les Kabyles ? Est-ce en cela, qu’ils retrouvent leurs valeurs ancestrales ? Leurs ancêtres doivent se retourner dans leurs tombes !

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